Critique

Les vêtements de marque cachent des mannequins de plastique

 

On peut le dire : l'histoire de la franchise Far Cry est pleine de rebondissements. Elle démarre dix ans avant ce nouvel opus avec un titre notamment apprécié pour l'intelligence artificielle de ses personnages non-joueurs. S'en suivra un titre qui, malgré ses qualités, sera reçu de manière plutôt froide par le public, avant que n'arrive la consécration de Far Cry 3 dont le caractère lui vaudra d'être adulé. Mais cette histoire risque de se montrer incomplète si elle n'est pas mise en parallèle avec l'histoire de son éditeur. Car à peu près à la période de la sortie du troisième opus de la série, la politique d'Ubisoft s'est modifiée en se tournant de manière particulièrement obstinée vers la sur-communication et la ré-édition incessante des titres qui ont connu un succès commercial.

Ce nouveau Far Cry a-t-il donc résisté aux envies toxicomaniaques de son éditeur, est-il plus qu'un simple produit de consommation et peut-il exister hors de l'ombre de son grand-frère ? Absolument pas, et voici pourquoi …

 

 

 

L'épidémie actuelle de coquilles vides

Dans Far Cry 4, on découvre l'aventure d'Ajay Ghale. Ayant toujours vécu aux États-Unis, il retourne au Kyrat, son pays natal, pour y disperser les cendres de sa défunte mère. Le voyage ne s'annonce toutefois pas simple, le pays étant en proie à une guerre civile depuis de nombreuses années. Mais ce n'est encore rien par rapport à ce que notre protagoniste va découvrir après avoir été abordé par Pagan Min en personne, roi auto-proclamé du Kyrat, peu après son arrivée sur le territoire : il n'est d'autre que la pièce centrale de la guerre en cours. C'est donc à ce moment précis que le titre nous offre un démarrage tonitruant, comme la franchise en a le secret. On débarque de manière brutale dans une situation que l'on ne connaît pas et que l'on ne comprend pas. Une très bonne amorce pour mettre immédiatement le joueur dans l'ambiance, mais qui aura été bêtement spoilée par l'éditeur lui-même dans sa course à la sur-communication. Voici le premier symptôme de ce qu'a créé Ubisoft en choisissant de dévoiler les premières minutes du jeu lors de l'E3 2014. Le titre commence ainsi par ce qui semble n'être qu'une simple erreur de marketing, mais qui déçoit tout de suite plus dès que l'on sait que ces premières minutes constituaient l'un des rares moments forts du scénario. Car si l'histoire qui nous est proposée parvient à surprendre et à émouvoir, elle ne le parviendra qu'en de trop rares moments, certes riches en émotions mais totalement anecdotiques. Les événements proposés se montrent triviaux et l'évolution de la situation linéaire. Far Cry 4 nous propose de plus une histoire qui sera rallongée artificiellement par un nombre immense de quêtes secondaires et d'activités annexes d'une répétitivité sans pareil. Seule diversité tout aussi artificielle que l'allongement de la durée de vie, certaines missions proposent une fin pour le moins étrange : explications évasives des rebelles, apparition du Yéti dans la brume, etc. Le titre nous propose ainsi une certaine dose de mystère, mais qui ne montrera aucun intérêt puisque aucun de ces éléments ne sera plus tard mis en lien avec les événements du jeu. Le titre se constitue sur un bric-à-brac d'événements sans profondeur (et parfois sans lien les uns avec les autres) que l'on retrouve dès le début et jusqu'aux derniers instants durant lesquels on découvrira un dénouement intéressant, mais qui n'offrira aucune surprise car il sera aisé de le deviner dès les premières minutes du jeu.

Et si le scénario est fade, c'est aussi parce qu'il est mené par un protagoniste tout aussi fade. "Qu'est-ce qui motive Ajay Ghale ?" est sans aucun doute la question que l'on ne cessera pas de se poser. Le personnage est incohérent et refuse de montrer une quelconque émotion au joueur. Il se contente de faire ce qu'on lui dit sans trop poser de question, ne semble jamais en colère ni effrayé et s'exprime très peu, en conséquence de quoi il sera bien difficile de se sentir concerné par ce qui lui arrive. Et au-delà de la seule implication émotionnelle, il est aussi particulièrement complexe de simplement comprendre ce qui se passe dans sa tête. Dans tous les aspects du titre, il agira comme s'il voulait se venger de Pagan Min sans pour autant expliciter les raisons de cette volonté ; après tout, l'antagoniste du titre ne s'en est jamais pris à lui : il s'est contenté de l'enlever, enlèvement qui a de plus été fait de manière particulièrement courtoise. En conséquence de cette quête de vengeance au fondement inconnu, Ajay acceptera immédiatement de se battre aux côtés du Sentier d'Or, groupe rebelle tentant de renverser Min. Il ne connaît alors rien de ce groupe, il ne sait pas ce qu'ils font ni quels sont leurs objectifs et pourtant il leur obéira au doigt et à l'œil.
Ce refus total de se dévoiler de la part du personnage principal nous conduit ensuite facilement à comparer le titre avec son aîné, Far Cry 3, là où un Jason Brodi, malgré sa naïveté et son immaturité surprenantes, gardait une certaine vraisemblance et semblait simplement humain. Dès les premiers instants du titre, on découvrira donc Ajay maniant parfaitement bien les armes à feu sans que quoi que ce soit de son passé ne laisse supposer une quelconque formation militaire ; de son côté, Jason semblait apprendre certes rapidement, mais surtout par étapes et dans un contexte de survie. Ajay ne semble pas surpris par ce qui lui arrive, alors qu'il est censé ne pas connaître les détails de la guerre au Kyrat, alors que Jason montrait explicitement son sentiment d'être perdu au milieu des événements. Ajay n'est sur place que pour disperser les cendres de sa mère, il n'a donc rien à perdre et peu à gagner ; alors que Jason souhaitait sauver des personnes qui comptaient pour lui en plus d'accomplir une vengeance (celle-ci étant justifiée explicitement). En fin de compte, le personnage principal de Far Cry 4 semble aussi bien sans émotion que sans motivation. Il n'a aucune vraie raison de faire ce qu'il fait et ne ressent rien dans ses actions.

Ce scénario et ce personnage aussi fades l'un que l'autre peuvent toutefois donner une idée de ce que les développeurs ont tenté de créer. Un personnage effacé afin de laisser sa place au joueur, des fusillades permanentes, une multiplicité de véhicules, une bande-originale discrète et parfois insipide, une obsession des objets collectionnables et des quêtes secondaires largement plus nombreuses que les quêtes principales : le diagnostic est sans appel et montre plusieurs traits caractéristiques du penchant le moins attrayant de certains GTA-like. Le jeu se fait discret pour laisser le joueur s'amuser et ne propose en conséquence aucune expérience profonde. Des personnages excentriques à foison, des armes et explosifs dans tous les coins, des gyrocoptères et une wingsuit disponible dés le début du jeu pour que les déplacements se fassent rapidement au détriment de l'exploration : le titre se montre plus comme un jouet pour enfant. Cet état de fait est à l'image de l'animateur de la radio pirate des rebelles, Rabi Ray Rana, qui se montre particulièrement peu crédible dans son rôle de voix du Sentier d'Or, dont l'émission se base plus sur des blagues et provocations vulgaires que sur de l'information destinée à renverser un gouvernement. En fait, ce quatrième opus ne propose rien sur un ton sérieux. Le titre semble tout prendre à la rigolade, dans le sens le plus stupide qui soit. Dommage : Far Cry ne devrait pas devenir une franchise servant uniquement à se défouler.

Fade, inintéressant et superficiel, Far Cry 4 ne semble à la hauteur d'aucun de ses prédécesseurs.

 

Copier, ce n'est pas tricher … Ah si ?

Jusqu'ici, il a beaucoup été question de Far Cry 3 dans la critique de ce quatrième opus. Ce n'est pas pour rien puisque l'on peut maintenant confirmer ce que le jeu semblait être dès son annonce officielle, à savoir une banale copie du précédent titre. Les développeurs semblent en effet avoir choisi la voie de la facilité en reprenant moult caractéristiques d'un jeu ayant connu le succès, créant ainsi ce qui constitue un Far Cry 3 bis sur de nombreux points. Outre les différentes animations strictement identiques, de nombreuses textures et modélisation de cette œuvre ont été ré-utilisées. Le système de gameplay, quant à lui, a été repris dans sa totalité : les quatre armes portées simultanément en plus du reste de l'équipement, les armes elles-mêmes, la confection, l'arbre de compétences et les compétences elles-mêmes (parmi lesquelles on retrouve les mêmes exécutions), les tours radios et la carte se dévoilant petit à petit, etc. Même si l'on s'intéresse au scénario, on retrouve sensiblement la même chose : le même tutoriel qui proposera de s'enfuir, puis de pirater une tour radio et de libérer un avant-poste, ainsi que certains personnages dont l'agent Willis Huntley qui entretient avec Ajay exactement la même relation qu'avec Jason. De même, on retrouve la tentative de créer une histoire au pays avec les lettres de colons britanniques perdues depuis près de deux siècles. Cela restera une tentative ratée car il n'en sera jamais fait mention dans une mission même secondaire et ne sera pas non-plus mis en lien avec l'environnement, du fait de l'absence de ruine de bâtiment britannique.
Une fois encore de la même manière, on retrouve aussi les missions durant lesquelles le protagoniste se retrouvera sous emprise de drogue, qui seront réalisées exactement de la même manière, soit à l'aide d'hallucinations et d'un environnement multi-colore. Mais si ces moments de trip offrent des scènes dotées d'une certaine poésie, certaines de ces missions n'auront aucun sens et surtout aucune finalité ; et pour la totalité d'entre elles, elles semblent tout simplement ne pas avoir leur place dans le jeu, contrairement à Far Cry 3 qui les avaient complètement intégrées à son univers. Il s'agit d'une banale copie d'un genre de mission sans même le moindre effort pour ne serait-ce que copier le contexte et l'univers qui vont avec.

D'un point de vue plus général, Far Cry 4 donne l'impression d'avoir été fait par des personnes étrangères à la conception de Far Cry 3 et qui auraient tenté de copier ce dernier sans en comprendre les mécanismes. Pourtant, il s'agit bien du même studio, ce qui nous mène à une conclusion terrible : à moins que les concepteurs du précédent jeu n'aient été renvoyés entre temps, il semble que ces derniers n'aient pas consciemment ajouté cette connotation Baudelairienne qui faisait pourtant tout le caractère et la qualité du titre. Autrement dit : ils n'avaient pas fait exprès de faire un bon jeu.

Cette conception facile et flemmarde se ressent aussi d'un point de vue technique. On citera notamment les grosses difficultés avec le doublage qui, malgré un bon jeu d'acteur dans l'ensemble, empêcheront systématiquement les paroles de correspondre aux mouvements des lèvres des personnages. De même, le titre fait le difficile avec l'infiltration, tout particulièrement dans les forteresses dont les gardes sont capables de repérer la présence du joueur, alors que celui-ci abat l'un d'entre eux hors de la vue des autres avec un arc, place une charge de C4 au sol une fois encore hors de leur vue, ou même s'il se contente d'attirer un prédateur sur place avec un appât. Pour finir, n'oublions pas de mentionner le scénario et ses quelques contradictions, notamment les rebelles qui récupèrent Ajay à deux reprises au bout d'un territoire sur lequel ils déclareront plus tard ne pas avoir remis les pieds depuis des années.

Finalement, Far Cry 4 semble souffrir en tous points d'une conception misant sur la facilité, de même que les thèmes qu'il aborde, superficiels.

 

Quand les Schtroumpfs se défendent contre Gargamel

En pleine guerre, le Kyrat voit s'opposer deux factions : d'un côté le roi Pagan Min et son armée qui ont la main mise sur la quasi-totalité du Kyrat, de l'autre les rebelles du Sentier d'Or qui tentent de préserver le Kyrat en renversant Min malgré des moyens particulièrement faibles à leur disposition. Ainsi, il est net que l'équilibre de pouvoir dans le pays penche très largement en faveur de l'antagoniste du titre. Pagan Min déploie des moyens militaires et de communication dignes d'un vrai dictateur, et pourtant sur aucun de ces deux plans il ne parvient à se défendre plus efficacement que les vulgaires pirates et mercenaires de Far Cry 3. Le Sentier d'Or ne se cache pas et dispose d'équipements et de fonds presque inexistants, mais dès qu'Ajay arrive, il parviendra à reprendre du territoire et à le tenir face à l'armée. Le renversement de pouvoir que l'on constate dans le jeu se montre assez peu vraisemblable et on retrouve avec Ajay une place un peu trop classique d'élu sauveur, exagérant largement ce qui semblerait raisonnablement possible. Far Cry 4 nous montre ainsi une vision cartoonesque des guerres que l'on retrouvera dans l'autre contradiction qui est le soutien que Min obtient du peuple Kyrati.
Les effets de la propagande déployée sont ainsi trop peu visibles. Lorsque l'on écoute les conversations des villageois, on constate que Pagan Min ne semble pas du tout avoir le soutien de son peuple. Pourtant, avec le peu de soutien qu'il a, il aurait dû être renversé depuis longtemps par une population en colère. De même, une fois encore d'après leurs conversations, les soldats croient sincèrement en leur combat pour la royauté de Min et ne sont pas juste motivés par l'appât du gain. Pourtant comment peuvent-ils soutenir Pagan une fois devenus militaires alors que le corps civil auquel ils appartenaient avant rejette en bloc le tyran ? De même comment lors des premières minutes du jeu, un petit groupe de rebelle peut-il s'attaquer à une forteresse dans laquelle se trouve le roi en personne et parvenir à en faire sortir notre protagoniste ?
Le jeu nous montre ainsi une forte contradiction entre le pouvoir qu'est censé détenir Pagan Min et son incapacité surnaturelle à ne pas pouvoir se débarrasser des rebelles et nous offre une vision hollywoodienne, voire clownesque, des rapports politiques et des luttes pour le pouvoir.

Et quitte à proposer une vision hollywoodienne, les développeurs auraient aussi pu chercher à justifier l'immense quantité de références à la culture occidentale que le jeu contient. Outre les éléments renvoyant à l'histoire du protagoniste qui sont justifiés par le fait qu'il ait toujours vécu aux États-Unis, Rabi Ray Rana, Pagan Min et plusieurs autres nous parlent de présidents américains, de stars du football, de la CIA, de façons de vivre et de modes occidentales, de Paris et de Milan. En plus de porter un sérieux coup à la vraisemblance, ces bien trop nombreuses références en arrivent presque à mettre mal à l'aise : les développeurs semblent avoir privilégié la culture occidentale et négligé aussi bien la culture Kyrati fictive que la culture népalaise réelle. De même, la présence de références françaises dans la version française augmente encore cette impression, car on se rend compte que les discours sont différents (et plus seulement traduits) selon les régions. Il semblerait qu'Ubisoft ait choisi de laisser leurs repères aux joueurs, ce qui contribuera à empêcher le dépaysement et à rendre plus difficile le fait de s'intéresser à l'univers du titre.

Ensuite, notre petite aventure dans ce Disneyland de l'Himalaya se retrouve également dans les différents choix qui nous seront donnés. S'ils ne sont pas toujours faciles et poussent parfois à fortement hésiter, ces choix sont aussi caricaturaux. Il s'agira la plupart du temps de choisir entre les deux personnes à la tête du Sentier d'Or : d'un côté un réactionnaire quasi-xénophobe, de l'autre une évolutionniste sans le moindre égard pour la culture de son pays. L'Himalaya continue ainsi son voyage en Occident avec cette caractéristique de simplification intellectuelle rappelant aussi bien les dessins animés pour enfants que les sitcoms américaines, même s'il pose occasionnellement des questions intelligentes sur les divergences de point de vue.
D'autre part, il est à noter que ces choix n'en sont pas vraiment et sont présents avant tout pour donner l'illusion du choix. Contrairement à ce que dira Pagan Min lui-même -"chaque choix a ses conséquences"-, ceux que feront Ajay n'auront pas le moindre impact sur le Kyrat et ne changeront tout au plus que quelques dialogues. Le seul véritable choix qui nous sera offert sera celui du début qui offre une fin alternative (cf. onglet Astuces), en poussant avec brio l'interactivité jusqu'au comportement du joueur, au-delà de simples choix explicites.

Ces choix entre les deux leaders du Sentier d'Or consisteront généralement à choisir entre préserver les traditions du pays ou assurer son avenir financier quitte à bousculer l'ordre social établi. Ils lèvent ainsi la question de ce que l'on peut faire d'un héritage, de la lutte lutte entre tradition et modernité. Cette tentative de créer une dualité que l'on retrouve à plusieurs endroits de l'œuvre est bien visible. Mais si elle est effectivement présente, elle n'en demeure pas moins une tentative échouée, car le concept n'est absolument pas réfléchi en profondeur et n'est montré que de manière évidente sans aucune subtilité. Dans ces techniques évidentes, on retrouvera notamment le Shangri-La, version mythologique du Kyrat dans laquelle un chasseur se retrouvera à combattre des démons venus sur place pour détruire toute la faune et empêcher les cloches sacrées de sonner. Les auteurs ont choisi une manière intéressante de traiter cette partie du jeu, avec la plongée dans une version en apparence différente du Kyrat normal, mais qui conserve une narration en lien avec les événements qui se déroulent dans ce dernier. Une ré-utilisation des mêmes mécaniques de gameplay que le Kyrat normal permet d'accentuer le parallèle scénarique avec les événements du reste du jeu et la place de Pagan Min. L'ambiance fantastique est créée de manière assez classique, avec l'utilisation de couleurs dominantes et de lois de la physique différentes, ainsi que le fantastique au sens littéraire du terme par le fait de ne jamais savoir si le Shangri-La est réel ou s'il s'agit d'hallucinations provoquées par des produits psychotropes.
Et les qualités s'arrêtent là, car le parallèle qui est fait avec le Kyrat normal vaut aussi pour ses défauts. Ainsi, l'utilisation du genre du fantastique est raté, car on ne se pose la question de la réalité du Shangri-La que lorsque l'on y est, pas lorsque l'on se promène dans le Kyrat normal. Le Shangri-La suggère ainsi plus l'idée qu'il s'agisse d'un rêve que ce genre de questionnement. D'autre part, la narration associée revient sans cesse sur l'idée de sauver une terre d'une présence démoniaque qui rappelle la position de Pagan Min, considéré dans les pays extérieurs comme un souverain légitime harcelé par un groupe terroriste. Les gentils contre les méchants, les rebelles contre le tyran empêchant les rîtes religieux, l'objectif de libérer une région des démons qui l'ont envahi : tel un jihadiste de seconde zone, le jeu fait une fois encore passer ses idées d'une manière hollywoodienne, simpliste et caricaturale.

Le titre manque cruellement de subtilité dans sa façon de traiter les différents thèmes qu'il aborde, mais aussi dans sa façon d'offrir une sensation d'action au joueur.

 

De l'action, beaucoup d'action, trop d'action

Far Cry a toujours été une franchise proposant une certaine dose d'action et ce nouvel opus ne fait pas exception. Dans une bonne partie des missions principales, Far Cry 4 parvient sans difficultés à créer une nouvelle fois cette impression de mouvement et d'une suite constante d'événements. Il propose également des scènes impressionnantes qui auront un intérêt certain, car si le gameplay en lui-même ne change pas, c'est l'environnement qui offre par moments une perspective différente. Par moments seulement, car cela reste minoritaire dans les missions principales qui sont elles-mêmes minoritaires au milieu de toutes les quêtes secondaires et activités annexes. Le plus intéressant dans le jeu sera aussi le plus rare, notamment avec une mission -malheureusement la seule dans tout le jeu- qui prendra la peine d'emmener le joueur sur les hauteurs de l'Himalaya, où les conditions environnementales changent la façon de procéder. Dans cette unique mission, la gestion des réserves d'un masque à oxygène force à se dépêcher, tout en laissant la liberté d'approche lors des assauts ; le blizzard gênant sa propre visibilité comme celle des ennemis pourra quant à lui être un atout ou une malédiction selon que l'on parvienne à l'utiliser correctement. Cette unique mission est malheureusement typique d'Ubisoft et de sa politique le poussant à créer encore et encore les mêmes jeux : cela rappelle par exemple les missions navales d'Assassin's Creed III, avec lesquelles il s'agissait de voir si ce type de mission plaît au public avant de le généraliser dans le titre suivant. Il faut espérer que l'éditeur ne joue pas une nouvelle fois à ce petit jeu dans l'objectif de sortir l'année prochaine un nouvel opus créé à la va-vite.
Dans l'ensemble, le titre ne propose rien de vraiment nouveau tout en conservant de l'action au cœur du paysage somptueux qu'est le Kyrat. Parmi tous ces éléments d'action, on retrouve bien-sûr la présence d'avant-postes qui seront strictement identiques à ceux de Far Cry 3, avec la même liberté d'approche, les mêmes types de gardes, les mêmes systèmes d'alarme, mais une difficulté devenue négligeable. Car si les avant-postes en eux-mêmes restent globalement similaires à ceux du titre précédent, ce sont les moyens dont dispose le joueur qui lui offrent une force de frappe sans précédent, rendant ce type de combat ridicule et inintéressant.

La libération d'avant-postes -ou de forteresses, qui dans les faits ne sont pas mieux gardées que les avant-postes- est donc bien trop facile à cause de ce que le titre apporte de nouveau face à ces zones fidèlement copiées depuis le précédent opus. Peu importe le nombre de gardes sur place ou leur équipement, il suffira de mettre la main sur un éléphant ou un mortier pour renverser la situation. Car en plus des mortiers disséminés dans tout le Kyrat et laissés sans surveillance, la vraisemblance sera mise à rude épreuve quand il s'agit de grimper sur le dos d'un éléphant sauvage qui bien-sûr se laissera faire sans broncher. L'option de monter à dos d'éléphant étant de plus une option disponible dès le début du jeu, celui-ci montre une bien mauvaise gestion de la difficulté qui rendra la conquête du territoire à la portée de tous. Mais puisque l'on est dans un univers dans lequel les éléphants sauvages pullulent et se laissent monter dessus et commander sans rien dire par le premier venu (admettons), on pourra aussi se demander pourquoi aucun rebelle ou membre de l'armée royale ne fait de même pour anéantir le camp adverse. Cette facilité constante sera encore exacerbée par un équipement bien trop grand, un peu plus grand que celui de l'opus précédent qui était déjà énorme. Ainsi, on peut porter simultanément 4 armes et l'énorme quantité de munitions que cela représente, des mines, du C4, des grenades, des cocktails Molotov, des appâts, un carquois de flèches, des couteaux de lancer en plus de nombreuses seringues de toutes sortes. En opposition, seules les missions du Shangri-La offrent une difficulté que l'on pourrait juger normale, simplement en proposant au joueur le minimum en termes d'armement avec une arme blanche et un arc. Avec ces éléphants et le puissant armement dont le joueur dispose, on peut se demander si Far Cry 4 ne serait pas en train d'abandonner la furtivité en plus de toute notion de finesse. Parmi toutes les armes disponibles dès le début du jeu, seules une faible proportion peut être équipée d'un silencieux. De même l'attaque d'avant-postes se montre bien plus facile dès que l'on choisit d'oublier la discrétion avec un mortier ou un éléphant, comme on vient de le voir. En fait, tout devient plus facile si l'on préfère user de la force brute plutôt que de la ruse. En effet, dès que l'on ne dispose plus de mortier, d'explosifs en tous genres, de mitrailleuses lourdes et autres tanks sur pattes, on se voit confronté à l'intelligence artificielle ennemies. Et heureusement, l'une des caractéristiques-phare de la franchise est toujours 100% présente. On combat ainsi des soldats qui n'hésitent pas à encercler la position dans laquelle le joueur tente de se retrancher pour se soigner, qui tentent de le débusquer avec une grenade ou qui fouillent soigneusement la zone dans laquelle ils sont certains qu'il est caché. Seuls un abandon bien trop rapide des recherches et une tendance à fouiller toujours les mêmes zones et pas d'autres limiteront le défi que représentent les unités ennemies. Ainsi, l'IA est par moment la seule véritable source d'un sentiment de devoir se battre pour sa survie, car ce sentiment de survie est en train de disparaître complètement.
Se promener seul au milieu de la végétation en tentant d'échapper au regard des patrouilles ennemies est toujours aussi plaisant dans Far Cry 4. Le soucis, c'est que cela n'est plus du tout nécessaire du fait d'une difficulté bien trop basse, via l'acquisition facile d'armement puissant, la possibilité de monter à dos d'éléphant et surtout la présence de gyrocoptères. Dans ce dernier opus, ces mini-hélicoptères individuels s'ajoutent à la présence de deltaplanes et de la wingsuit (disponible dès le début, comme tant d'autres choses) en rendant les déplacements bien trop faciles. Si l'on avait déjà découvert le deltaplane lors du précédent opus ainsi que dans le tout premier jeu de la franchise, celui-ci ne causait pas encore trop de dégâts du fait d'un environnement plat. Son utilisation en montagne donne cette fois-ci la possibilité de voyager d'un bout à l'autre d'une moitié de carte sans prendre le moindre risque vis-à-vis des patrouilles ennemies. Ces déplacements dans les airs, rapides et sans risque, enlèvent dans Far Cry 4 toute envie d'explorer, ce qui est d'autant plus dommage que ce mouvement trop facile ne pousse pas à apprécier un paysage qui le mériterait pourtant. Heureusement, les difficultés de navigation n'ont pas totalement disparues et subsistent tout de même dans la recherche des tankas permettant d'accéder au Shangri-La.

D'un autre côté, il faut avouer que se promener en Kyrat n'est pas toujours une partie de plaisir. Par rapport aux îles contrôlées par des pirates, à celles contrôlée par une mystérieuse organisation et aux savanes africaines, les montagnes du titre contiennent un chaos permanent, en grande partie à cause des activités annexes, dont on avait parlé plus tôt, constituant une large part du jeu. Il sera strictement impossible de faire plus d'une centaine de mètres ou deux sans croiser une patrouille ennemie, quelqu'un appelant à l'aide, un messager ou un commandant ennemi à abattre, un otage à libérer ou un transport royal à attaquer. De même, il n'est jamais possible de chasser tranquillement sans se faire attaquer par une foule de prédateurs. Voici ce qui constitue la sur-activité du jeu découlant d'une sur-abondance d'activités et qui mènera à des situations aberrantes : après avoir libéré un ou des otages, il suffira toujours d'attendre quelques minutes pour les voir se faire attaquer par des animaux sauvages ou une patrouille ennemie. Ces attaques incessantes font que l'on ne peut jamais être tranquille, on est attaqué de tous les côtés, ce qui gêne énormément pendant les missions en créant un chaos empêchant l'immersion.
D'autre part, n'espérez pas pouvoir prendre une pause dans les zones complètement contrôlées par le Sentier d'Or ou par l'armée. Les soldats de l'un et l'autre camp ne cessent d'apparaître dans tout le Kyrat et sont quasiment aussi nombreux dans les zones qu'ils ne contrôlent pas que dans celles qu'ils contrôlent. À titre d'exemple vécu, à peine arrivé à un avant-poste tenu par le Sentier d'Or, il sera possible d'entendre au loin un groupe de rebelles se faire attaquer par des soldats ; à peine débarrassés de ses derniers, ils seront attaqués par un tigre, un ratel et trois chiens errants ; le dernier survivant du groupe se fera écraser par une voiture de son propre camp qui ne remarquera pas sa présence. Rien de tout cela n'est scripté, il s'agit simplement d'un grand nombre d'IA stupidement placées au même endroit.
Avec ces combats incessants, on finit par voir bien plus de gens se faire tuer que de personnes qui semblent rester en vie après qu'on les ait croisées. Il y a bien trop de morts au Kyrat et cela perd toute vraisemblance. Il devient difficile d'être convaincu par ce que l'on voit et on est en permanence distrait par une nouvelle activité. Enfin, les bruits de fusillades incessants finissent par devenir insupportables dans un titre qui mise sur la sur-abondance quitte à risquer l'indigestion intellectuelle du joueur.

 

 

 

Far Cry 4 est un jeu qui manque cruellement de sérieux. Restant dans la superficialité tant dans son scénario que dans son environnement, il perd autant en cohérence qu'en vraisemblance et en intérêt. Toutefois, il conserve de grandes qualités qui seront malheureusement suffisamment anecdotiques pour ne pas contrecarrer ces importants défauts. Il s'agit finalement d'un jeu moyen, un jeu banal qui utilise simplement le nom d'une franchise à succès pour se vendre.
Le titre souffre d'une conception facile qui copiera bêtement son aîné sans le comprendre. Mis en comparaison avec le reste de la franchise, le titre constitue une brusque perte de vitesse pour celle-ci, faisant de Far Cry 4 le cadet maudit d'une illustre famille. Maudit par la folie d'un éditeur dont le modèle économique ne se base plus que sur l'orgie vidéo-ludique en proposant toujours plus mais jamais mieux.

Critique de Far Cry 4 par Edward Cage

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9 / 20
Scénario : 6/20 • Ambiance : 11/20 • Immersion : 9/20

Les + :

  • Très bonne IA
  • Nouvelles mécaniques de jeu sur les hauteurs de l'Hymalaya
  • Deux ou trois moments forts dans le scénario
  • De l'action toujours présente
  • Assez bon jeu d'acteur
  • Le concept des avant-postes toujours présent
  • Un paysage magnifique
  • L'ambiance, par moments très intéressante
  • Le tout premier choix, d'une forme trop peu courante

Les - :

  • Une vision extrêmement simpliste des luttes de pouvoir
  • Un protagoniste inexistant
  • Un chaos ambiant qui en devient insupportable
  • La sensation de survie, devenue bien trop rare
  • Raté de la dualité tradition-modernité
  • Raté de l'utilisation du genre du fantastique
  • Un scénario linéaire
  • Des choix sans conséquences
  • Sur de nombreux points, une pâle copie de Far Cry 3
  • Activités annexes profondément répétitives
  • Quelques éléments du jeu disponibles uniquement via un nouvel achat (comme d'habitude chez Ubisoft)